Les modèles économico-climatiques, The Economist, 5 octobre 2013

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Retrouvez l’article original de The Economist, en anglais, à cette adresse.

Air chaud : les modèles qui montrent les effets du changement climatique sur l’économie sont-ils utiles?

Les modèles simplifient. C’est ce qu’ils sont censés faire. Il s’agit de l’une de leurs fonctionnalités, non d’un bug. Leurs formules peuvent être complexes mais les modèles omettent délibérément certaines choses afin de se concentrer sur d’autres. Ils laissent également de côté des facteurs qui ne peuvent être modélisés de manière satisfaisante. C’est compréhensible, mais que faire si les facteurs qui ne peuvent être modélisés font une énorme différence dans le résultat? Et si les choses qui sont exclues avaient tendance à produire un biais systématique dans ces mêmes résultats? C’est précisément la situation de ceux qui modèlisent l’impact économique du changement climatique, affirment deux nouvelles études (voir sources ci-dessous). Nicholas Stern, auteur en 2007 d’un rapport influent sur l’économie du changement climatique, explique que les modèles minimisent les dommages à l’environnement. Robert Pindyck du MIT Sloan School of Management va plus loin, affirmant que les données économiques utilisées sont tellement arbitraires que leurs modèles ne disent presque rien d’utile.

Tous deux pensent que les modèles climatiques minimisent ou laissent de côté les risques dits de « point de basculement » qui pourraient ne pas influer sur le climat maintenant, mais avoir un énorme impact un jour. Des exemples de tels risques: les rendements des récoltes qui pourraient diminuer progressivement en réponse au réchauffement climatique, puis chuter brutalement, comme depuis une falaise. Egalement la possibilité que des pans entiers de la Sibérie puissent se réchauffer, libérant d’énormes stocks de méthane qui se trouvent enfermés dans le pergélisol. Ainsi, le méthane, un autre gaz à effet de serre,  pourrait entraîner un cercle vicieux de réchauffement et encore plus d’émissions. Une étude récente de « Nature » conclut que si le méthane dans l’Arctique venait à s’échapper, il pourrait causer 60 milliards de dollars de dommages – bien qu’il n’y ait aucun signe que cela soit actuellement en train de se produire. Les modèles économiques, appelés modèles d’évaluation intégrée (MEI), empruntent les limites des modèles climatiques et y ajoutent leurs propres problèmes. Lord Stern affirme qu’ils ont tendance à sous-estimer les dommages environnementaux et pensent, à tort, que les taux de croissance économique à long terme continueront de ne pas être affectés, même si les changements observés au niveau du climat sont importants.

M. Pindyck objecte que les hypothèses de base des économistes, faites avec des outils comme des taux d’actualisation, et la réponse des températures à la hausse des concentrations de carbone sont tellement arbitraires que, comme il le dit : «Ces modèles peuvent être utilisés pour obtenir presque n’importe quel résultat ». Les modèles économiques intègrent généralement des pertes ou dommages (à partir de récessions ou de changements de température) en abaissant la valeur du flux de production plutôt qu’en réduisant la valeur du stock de capital, de la terre ou du travail. Habituellement, c’est sensé. Mais la détérioration du climat peut avoir des effets différents. Si, par exemple, le niveau de la mer augmentait, ce qui fut le cas de près de 20 cm au cours du siècle dernier, elle pourrait inonder les villes côtières et détruire de grandes quantités de capital productif et de terres (sans parler des dommages à la vie et à l’intégrité physique des habitants des régions affectées). Cela n’aura pas uniquement un impact sur la production actuelle, mais aussi  sur la production future.

Les modèles ont aussi tendance à sous-estimer les dommages causés par le changement climatique parce que, comme le note William Nordhaus, de l’Université Yale, ils sont extrêmement pauvres en extrapolation au-delà d’un réchauffement de plus de 3°C. Un des propres modèles de M. Nordhaus suppose qu’une hausse de 19°C serait associée à une perte de la moitié de la production mondiale ! Un réchauffement de cette ampleur serait plus probablement associé à l’extinction de la vie humaine sur Terre… De nombreux modèles supposent que le monde serait plus prospère malgré des concentrations élevées de dioxyde de carbone de 650 parties par million (contre 400 ppm actuellement). Pour la plupart des scientifiques du climat, 650ppm ressemble à un scénario à la Mad Max… M. Pindyck décrit les hypothèses des modèles sur la détérioration du climat comme « complètement erronées « .

 

Pas inutiles, juste faux

La question est de savoir s’il est néanmoins utile d’avoir quelques indications, même inexactes, sur le coût futur du changement climatique. La réponse de M. Pindyck est radicale : oubliez les modèles. Il les décrit comme « à peu près inutiles en tant qu’outils d’analyse politique (…). Leur utilisation suggère un niveau de connaissances et de précision qui est tout simplement illusoire ». Lord Stern est un peu plus optimiste. Il souligne que les scientifiques sont en train de produire une nouvelle génération de modèles climatiques et exhorte les économistes à faire de même. Mais pour que ces modèles fonctionnent, dit-il, il faudrait intégrer des changements radicaux: le réchauffement climatique peut endommager le stock de capital, la productivité et la croissance. Ils auraient aussi besoin de taux d’actualisation faibles ou même négatifs, afin de refléter la possibilité que les générations futures soient moins bien loties que l’actuelle. C’est controversé : l’utilisation d’un faible taux d’actualisation dans le « rapport Stern », l’étude de 2007 qui a utilisé certains des modèles dont il se plaint maintenant, a été fortement critiquée.

Mais, comme John Maynard Keynes est censé avoir dit, « il vaut mieux avoir à peu près raison que complètement tort ou alors ne pas faire d’estimation du tout ».

 

Sources utilisées pour l’article:

“The Structure of Economic Modeling of the Potential Impacts of Climate Change: Grafting Gross Underestimation of Risk onto Already Narrow Science Models”, Nicholas Stern, Journal of Economic Literature, 51(3): 838-59

“Climate Change Policy: What do the Models Tell Us?”, Robert S. Pindyck, NBER Working Paper

Article traduit par Joëlle Leconte


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